POLITIQUE DE SANTE EN COTE D'IVOIRE ET PLANTES MEDICINALES
par le Docteur R. Hurpy
Biologiste des Hôpitaux - Vice-Doyen de la Faculté de Pharmacie d'Abidjan
"La santé pour tous en l'an 2000", ce slogan phare de l'OMS sera difficile à réaliser d'ici trois années, notamment en Afrique.
La promotion de la santé passe, sur ce continent, par la nécessaire mise en oeuvre de stratégies alternatives à la conception occidentale des soins :
- l'accès au système de santé classique reste limité et onéreux,
- le large recours à des thérapeutiques traditionnelles et à d'autres voies n'est pas sans danger,
- en bonne place, parmi les solutions retenues, figure en Côte d'Ivoire le développement de l'usage des plantes médicinales autochtones.
Pourquoi ce choix ? Comment peut-il être appliqué ?
La difficulté d'accès au système de santé classique se traduit en Côte d'Ivoire, comme dans bien des pays africains, par :
- le développement de la vente illicite de médicaments d'origine douteuse dits "médicaments trottoirs". (Les seules spécialités pharmaceutiques ainsi vendues, plus les "médicaments trottoirs" dits "Chinois", représentaient pour 1995 une valeur de 20 à 25 % des ventes officielles d'officines pharmaceutiques privées - soit 22 à 25 milliards de francs C.F.A.)
- la fréquentation de services de santé clandestins, au personnel de qualification douteuse ou inexistante !!
- le recours systématique à la médecine traditionnelle et aux tradithérapeutes utilisant principalement des plantes à vertus médicinales.
Développés par les populations pauvres, ces attitudes et comportements qui peuvent présenter des dangers en santé publique ont fait l'objet d'études et d'analyses de la part des autorités Ivoiriennes, de chercheurs, de scientifiques, des professionnels de la santé et du social et des organisations non-gouvernementales (ONG) préoccupées par la promotion humaine en Afrique.
Ces études et analyses ont été comparées aux programmes de recherches sur les stratégies alternatives de promotion de la santé et de lutte contre la pauvreté mis en oeuvre par la communauté internationale et par des gouvernements d'autres pays.
De tout ceci, certains domaines d'actions ont été retenus :
- développement des soins de santé primaires et participation active des communautés villageoises et rurales à la santé collective et individuelle.
- vulgarisation des médicaments génériques et/ou essentiels;
- valorisation des plantes médicinales de la pharmacopée africaine en général, et Ivoirienne en particulier.
L'ATELIER D'ABOISSO
Pour ce dernier point, devant le constat que 70 % de la population Ivoirienne utilise la médecine traditionnelle, avec comme thérapeutique majeure l'usage des plantes, une réunion des principaux intervenants du monde de la santé et des organisations représentatives des tradipraticiens a été organisée courant octobre 96 pendant trois journées. Ce fut "L'Atelier d'Aboisso".
Les conclusions de cet atelier ont servi à préparer un ensemble de textes, à visées législatives et de politique sanitaire, pouvant permettre d'intégrer la médecine traditionnelle aux secteurs officiels de la santé. Des lois seront concrétisées fin avril 97, après examen de ces textes par le parlement ivoirien.
L'Atelier d'Aboisso a énoncé les stratégies, les modalités et les mesures à prendre au niveau des plantes médicinales citées ci-après pour assurer une véritable promotion de la santé et de la qualité de vie des populations à faible revenu d'Afrique.
C'est une véritable politique alternative pour la promotion de la santé en Côte d'Ivoire qui est proposée.
Ainsi, pour les plantes médicinales, vu le regain d'intérêt universel pour les substances naturelles à usage médicinal et cosmétique, et le recours constant et même grandissant par les populations pauvres à la pharmacopée traditionnelle, il s'avère nécessaire de :
* développer la connaissance des plantes à vertus médicinales par le regroupement des partenaires en équipes pluridisciplinaires composées de pharmaciens, de médecins, de biologistes, d'ethnobotanistes, d'herboristes, de tradithérapeutes, de sociologues, etc...
* réaliser à l'échelle nationale un recensement des thérapeutes traditionnels et leurs organisations en associations, et identifier par repérage des zones de peuplements naturels de plantes médicinales.
* adopter dans chaque pays une liste de plantes médicinales connues subdivisées en plantes suffisamment étudiées ou non étudiées; plantes immédiatement utilisables, plantes utilisables nécessitant des études complémentaires ou plantes très toxiques.
* définir une politique nationale de valorisation des plantes médicinales axée sur la production industrielle de médicaments traditionnels améliorés (MTA) par l'adaptation des textes et normes permettant la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché allégée.
* initier des programmes de préservation des essences végétales utiles, menacées de disparition, par la régénération des espèces dans les parcs botaniques nationaux, la constitution de droguiers dans les différents centres de recherche et des mesures de protection des écosystèmes particuliers à ces espèces végétales.
* favoriser la coopération médecine moderne/médecine traditionnelle à travers la création de cadres permanents de concertation, tels les centres de médecine traditionnelle, et par l'introduction de modules sur la connaissance des plantes médicinales dans les écoles de formation classique.
* organiser des sessions de formation, d'information et d'éducation pour les tradithérapeutes au plan national et encourager leurs regroupements pour la valorisation de la profession.
* appuyer dans chaque pays l'amélioration du cadre juridique existant et l'adoption de décrets déterminant les conditions d'ouverture des cabinets privés de consultations de soins traditionnels, des herboristes et d'unités de production des médicaments traditionnels améliorés (MTA).
UN PROGRAMME D'ACTIONS A COURT, MOYEN ET LONG TERME DOIT ETRE MIS EN PLACE
Pour les actions à court terme :
Valorisation des plantes médicinales
* créer dans chaque pays un comité de suivi pluridisciplinaire OMS-BAD pour la promotion de la connaissance des plantes médicinales et de la médecine traditionnelle. Le GRETCI a été créé dès février 97.
* accroître les ressources du fond O.M.S. pour la valorisation des plantes médicinales et de fabrication de médicaments traditionnels améliorés (MTA).
* organiser une consultation sous-régionale pour l'évaluation des programmes nationaux de recherche et de valorisation des substances naturelles à usage médicinal.
Facilité d'accès à des services de santé appropriés
* Les lois Ivoiriennes pour l'utilisation de la pharmacopée traditionnelle par les centres de santé doivent être promulguées après le 25/04/97.
* mettre en place une stratégie d'appui au développement des centres communautaires de santé utilisant la thérapeutique par les plantes afin de les intégrer aux réseaux sanitaires locaux.
* adopter une politique d'incitation à la production locale et de vulgarisation des médicaments traditionnels améliorés (MTA), des médicaments génériques et /ou essentiels de qualité auprès de la population et des professionnels de la santé.
* appuyer la création au niveau de chaque pays d'un observatoire de la circulation et de la mise sur le marché, officiel ou non, de produits pharmaceutiques.
Actions à mener à moyen terme
Développement et recherches sur l'usage des plantes médicinales.
* La biologie végétale a été réintroduite en 1ère année de médecine, pharmacie, dentaire.
* La thérapeutique par les plantes devrait faire l'objet d'un enseignement médical d'ici deux années (dès la rentrée universitaire 1999).
* La phytothérapie clinique est enseignée depuis 1996 au DEA de Biologie Humaine Tropicale, et depuis 1997 au DEA de la valorisation de la Pharmacopée Africaine (avec l'aide de l'Association Française de Phytothérapie et d'Aromathérapie. SFPA).
* Un DESS de phytothérapie clinique devrait exister dans ce domaine dès octobre 1998.
La création d'un institut de la Biologie et de la Pharmacopée Africaine vient d'être autorisée en avril 1997.
Actions à mener à plus long terme
Elles concernent l'amélioration des soins par la médecine traditionnelle, l'existence de M.T.A. étudiés, connus, prescrits.
La thérapeutique par les plantes sera intégrée progressivement au secteur Santé moderne, et revue selon des critères scientifiques.
A terme, il existera en Afrique, et notamment en Côte d'Ivoire, dans tout le secteur santé, une utilisation large et rationnelle des plantes médicinales.
La thérapeutique par les plantes devrait reprendre la place qui est sienne dans la Thérapeutique humaine et, probablement aussi, animale.
Ce texte reprend le contenu d'une communication orale du Professeur Hurpy lors du Colloque International SIMED Afrique, qui s'est tenu à Abidjan le 23 Avril 1997.
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